Qu’il est difficile de se faire un nom quand vos auditeurs vous confondent avec la proche voisine Saint-Cloud d’une plus grande notoriété ou avec La Colle-Sur-Loup. Avec la première elle partage cette même relation à l’ermite Clodoald qui s’établit dans la région, avec la seconde une simple paronymie. Pourtant, la ville de La Celle-Saint-Cloud a été un petit laboratoire d’urbanisme après la seconde guerre mondiale.
« La Celle » comme disent ses habitants est une ville champignon de la grande couronne parisienne, passant de 5 000 habitants en 1954 à 20 000 en 1962, soit quatre fois sa population en huit ans. Cette croissance aura un impact sur l’occupation du sol avec de nombreux programmes immobiliers novateurs et une transformation radicale d’un paysage rural en paysage urbain.
La Celle restera un village jusqu’au début des années 30 franchissant là le seuil des 2 000 habitants, ce qui la classe comme ville aux yeux des géographes. Le village est identifié sur les cartes de Cassini sous le nom de La Selle. La commune s’est appelée de 1793 à 1801 la Selle-Saint-Cloud.
Toutefois sur la carte Feuille VI Les Environs de Paris relevés géométriquement de l'abbé Jean Delagrive de 1740, contemporain de Cassini, La Celle porte un C mais perd son saint.
Elle trouve son nom actuel sur les cartes de l’état-major, moitié du 19e.
La Celle-Saint-Cloud modélisée en 3D grâce au LiDAR HD
Vidéo réalisée par Laurent Caraffa (UMR LaSTIG)
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Vidéo réalisée par Laurent Caraffa (UMR LaSTIG)
La ville s’étire sur un vallon de part et d’autre du ru de la Drionne. Ce ru est aujourd’hui entièrement canalisé jusqu’à sa confluence avec la Seine sur la commune voisine de Bougival. La route départementale 321 le recouvre, empruntant son parcours, elle porte sur une portion le nom d’avenue de la Drionne rendant hommage à ce cours d’eau englouti. Deux massifs forestiers, à l’Est le bois de Saint-Cucufa et à l’Ouest la forêt de Marly, enserre la ville. Son axe Nord-Sud s’oppose à la migration Paris-Normandie et son historique 1ère autoroute de France l’A13 qui frôle la ville à son sud. Au centre de la ville un bois semble la traverser du Sud au Nord, le chemin de Grande- Randonnée n° 1, qui fait le grand tour de Paris, profite de cette coulée verte pour franchir la ville sans quasiment traverser de zones urbanisées.
Une voie de chemin de fer, ici coloriée en rouge, traverse la ville dans un axe sud-est nord-ouest.
Inaugurée en 1884, la ligne de Saint-Cloud à Saint-Nom-la-Bretèche traverse le territoire de la commune en suivant la ligne de moindre pente ce qui l’éloigne alors du bourg de La Celle-Saint Cloud et du centre de Bougival, l’arrêt (actuelle gare de Bougival) est excentré. En 1959, un arrêt est inauguré sous le nom de La Châtaigneraie-Beauregard et deviendra l’actuelle gare de La Celle-Saint-Cloud offrant ainsi aux nouveaux habitants un accès direct à la gare parisienne de Saint-Lazare. Elle est alors aussi utile aux membres du Grand quartier général des puissances alliés en Europe (SHAPE) situé sur la commune limitrophe de Rocquencourt dont certaines familles étaient logées dans la résidence du Petit-Beauregard. Cette résidence garde la trace de leur passage en une numérotation « à l’américaine » des entrées d’immeubles comme des pavillons aux numéros accolés des points cardinaux Est ou Ouest. Mais nous nous égarons comme souvent le courrier de cette résidence.
Ne s’étant pas développée autour de son centre historique « Le Bourg », elle ne possède pas réellement de centre-ville, le quartier du Centre est un centre administratif des années 70 recevant mairie, bureau de poste, caserne de pompiers, services de police.
Un laboratoire urbain du XXe siècle
Les photos aériennes les plus anciennes en possession de l’IGN datent de 1932 mais ne couvrent pas l’intégralité du territoire actuel de la commune. Nous présentons les photos aériennes orientées le nord en haut selon la convention cartographique.
Au centre de l’image le Bourg, le tracé ovale est un hippodrome privé. Au bas de la photo le quartier de La Feuillaume avec ses rues rectilignes perpendiculaires ou en étoile. À la gauche de l’image nous apercevons la ligne de chemin de fer qui serpente.
1933
Le Bourg en 1933. À la gauche du Bourg se trouve le château de La Celle-Saint-Cloud et son parc, légués par son dernier propriétaire au ministère des Affaires étrangères aux conditions exclusives d’usages diplomatiques. Le parc est classé à l’inventaire des sites pittoresques depuis 1985, il participe à la coulée verte mais reste inaccessible au public.
1949
Ces vues aériennes de 1949 couvrent la partie nord de la commune. En haut un méandre de la Seine (communes de Bougival et Croissy-sur-Seine), à gauche la voie de chemin de fer, à droite l’hippodrome et en bas le quartier de la Feuillaume.
1949
Beauregard de la tragédie dans ses veines
De tous les quartiers de La Celle-Saint-Cloud celui de Beauregard a été le plus martyrisé. Peu de ses habitants connaissent l’histoire tragique de ce lieu. Un fronton, relique d’un château, laisse entrevoir un passé mystérieux.
À gauche sur la carte de Cassini du 18e siècle nous voyons au centre un mur d’enceinte accolé au toponyme Beauregard. Plus distinctement sur la carte de l’état-major à droite, milieu du 19e, le toponyme apparait clairement et des allées sont dessinées dans le parc du château. Les archives de la ville nous précisent qu’une première mention de propriétaire date du XVIe siècle avec Jeanne de Sansac, Dame de Beauregard. Différents propriétaires se succèderont.
Les ravages des guerres !
Ce lieu doit son nom à la perspective sur la vallée de la Seine, une belle vue. On comprend la position stratégique pour les militaires.
1871
Nous apercevons sur la carte de « Paris, ses environs et ses fortifications » de 1870-1871 les emplacements des fortifications sur les communes de Vaucresson, La Celle-Saint-Cloud et Bougival. L’occupation prussienne de 1870 laisse le bâtiment en ruine.
Mais en 1872, le Baron de Hirsch, banquier, entrepreneur et philanthrope, restaure le château. En 1896,le domaine est légué à Maurice-Arnold de Forest, Comte de Bendern et dernier propriétaire, qui délaisse le château.
1914
En 1914,la Celle-Saint-Cloud fait partie du « camp retranché de Paris ».Le parc est réquisitionné pour servir de lieu de culture et de parc à bovins.
En 1939 le château fut converti en dépôt militaire et des baraquements sont montés. Il sera bombardé par l'armée de l'air allemande en 1940. L’armée allemande s’installe, les officiers logent au Château. Dès juin 1940, les soldats prisonniers arrivent. De juillet 1940 à mars 1941, un camp de prisonniers de guerre, majoritairement français, est établi dans le parc du château par les troupes d'occupation sous le nom de frontstalag 112, avec de nombreux baraquements. Le camp comptera jusqu’à 11 000 détenus. À la libération, un camp russe sera installé dans les baraquements. Une histoire méconnue, le gouvernement soviétique avait exigé que tous les « russes » sur le territoire français soient rapatriés de gré ou de force en URSS. Ce château et son domaine furent gérés par la Mission de rapatriement soviétique jusqu'en novembre 1947. Puis le camp passa sous administration française du gouvernement Ramadier, considérant qu'avec la guerre froide, ce camp était devenu un centre d'espionnage soviétique.
Les baraquements sur cette photographie de 1949
Les baraquements en 1953 et à gauche le château de Beauregard toujours visible.
En parallèle l'administration pénitentiaire de la prison de Fresnes ouvrit en 1946 un centre de rétention d'une capacité de 1 400 détenus. Le centre pénitentiaire fermera ses portes en avril 1953 : il comptait alors 776 détenus.
Le 21e arrondissement de Paris
Au sortir de la guerre, le château et son parc sont en ruine. Son propriétaire, le comte de Bendern, finit par le donner à la ville de Paris en 1949 avec des objectifs sociaux et environnementaux. Le Conseil municipal de Paris accepte cette donation et signe alors une convention avec le comte, aux conditions suivantes :
création de cités-jardins composées de préférence d'habitations individuelles et réservant le maximum d'espaces verts...
interdiction de toutes les activités qui pourraient être un obstacle aux buts poursuivis, en particulier : la chasse, les camps d'exercices militaires, les prisons, les entreprises industrielles ou commerciales, à l'exception des commerces alimentaires, des entreprises de spectacles, débits de boissons, cimetières…
En 1956, le château est rasé. La ville de Paris, héritière du domaine, commence un programme immobilier social Beauregard I puis Beauregard II avec la construction de 2 500 logements (Beauregard I de 1956-1959 : 18 pavillons et 54 bâtiments. Beauregard II de 1963-1968 : 61 nouveaux bâtiments et les ateliers d’artistes). Vérité ou légende urbaine, ce quartier aurait pu devenir le 21e arrondissement de Paris…
Sur cette photo aérienne oblique de 1958 (le sud est en haut de l’image) vous apercevez dans le quart supérieur droit le chantier de Beauregard. Au centre de l’image, les maisons blanches sont un programme immobilier du mouvement d’auto-construction coopératif des « Castors » reposant sur le principe de l'apport-travail. Un travail collectif est effectué sur le temps libre pour aider chacun à construire son logement. Là encore La Celle-Saint-Cloud s’illustre par un programme immobilier pionnier. L’association des Castors de Seine et Oise est fondée en 1950. Même si le mouvement solidaire de construction est apparu avant-guerre il n’est officiellement reconnu qu’en 1952 par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. Ce mouvement a offert à de nombreuses familles modestes l’accession à des maisons individuelles.
1960 : le programme de Beauregard sous un autre angle (le sud est en haut de l’image).
Domaine Saint-François d’Assise ou comment vivre au milieu de la nature
Le domaine du Château de la Chataigneraie, actuel Domaine Saint-François d'Assise (1933)
Facilement identifiable, l’hippodrome est un point de repère sur les photos aériennes de l’IGN d’avant les années 50 et du Service géographique des armées (SGA) pour celles d’avant 1940. Nous voyons l’hippodrome privé d’Edmond Blanc, éleveur de chevaux de la Belle Époque, créateur et propriétaire des haras de Jardy et de l’hippodrome de Saint-Cloud. Edmond Blanc fait construire un château avec dépendances, remises, écuries et donc un hippodrome privé. En 1928, le comte de Rivaud, propriétaire du domaine de la Châtaigneraie fera même construire une piscine privée couverte d’un bassin de 25 mètres.
Vivre à l’américaine
La comtesse de Beaumont, dernière propriétaire, vendra le domaine de 52 hectares au Centre national pour l'amélioration de l'habitat (CNAH) et le Comité interprofessionnel du logement et de l'urbanisme. Ceux-ci construiront le Domaine Saint-François d’Assise (premier permis de construire en 1952). Les acquéreurs reçurent pour missions de conserver la beauté du site, se protéger du bruit et assurer la sécurité des piétons et des enfants. Georges Pillet, directeur du CNAH, racontait : « C'était presque la quadrature du cercle, faire beau, ne pas faire cher, ne pas couper d'arbres, respecter les larges coulées vertes [...] concilier le traditionnel amour d'indépendance incrusté au cœur des Français et des penchants inédits : les habitations sont ainsi réparties dans la nature sans clôture fixe ». Sur le modèle des résidences américaines, aucune clôture ne sépare les maisons et les haies respectent un cahier des charges. Les concepteurs ont utilisé la piste de l’hippodrome comme boulevard circulaire en répartissant les habitations de part et d’autre, tout en gardant une vaste prairie au centre. L’American way of life pouvait faire rêver en ce début des Trente glorieuses mais les premiers acheteurs ne se sont pas précipités. Dans les années 50, vivre en Seine-et-Oise semblait une lointaine campagne aux parisiens et les premiers résidents durent utiliser quelques temps des bottes pour se déplacer dans le domaine. Le programme de 1 000 logements prévus n’en connut que 457, une partie du terrain fut vendu.
1953
Le Domaine Saint-François d’Assise est en construction.
Le Domaine Saint-François d’Assise aujourd'hui et dans les années 1960 (Source : Remonter le temps)
Cette vente explique que le boulevard circulaire ne forme qu’un U : la vente a amputé le bout de l’hippodrome.
La résidence telle que la photographie de septembre 2021 en proche infrarouge la fait ressortir. La végétation apparaît en rouge. La mission reçue par les promoteurs semble réussie. Elle reste un cas d’école.
Élysée : premier centre commercial de France
Robert de Balkany, fils d’un promoteur immobilier, ramène de ses études d’architecture aux USA le concept des centres commerciaux. Il lance en 1960 son premier programme immobilier à La Celle-Saint-Cloud avec la résidence Élysée 1 sur des terres rachetées au Domaine Saint-François d’Assise. Le promoteur offre une Fiat 500 à chaque nouvel acquéreur d’un appartement d’Élysée 1 éloignée des transports en commun et des commerces en ce début des années soixante.
1933
Le quartier de la Jonchère
1961
Achevé en 1963, Élysée 1 sera le prototype d’un programme plus ambitieux.
Il faut savoir traverser la rue
Après s’être fait la main sur cette première résidence, le promoteur voit plus grand et acquiert une vingtaine d’hectares d’un terrain boisé de l’autre côté de l’actuelle avenue de la Jonchère. Il va développer pleinement le concept et profitant de la renommée d'Élysée 1, il baptisera ce deuxième opus Élysée 2. Élysée 2 propose aux nouveaux résidents des 1 500 appartements : piscine, tennis, école et même une chapelle. Rappelons qu’en 1963, en France, seul 5 % des logements étaient équipés d’une salle de bain. Associé à Jean-Louis Solal, les deux promoteurs vont créer le premier centre commercial français à Élysée 2, un Champs-Elysées à la campagne avec son Drugwest, petit cousin du Drugstore parisien, son bowling, son cinéma. À l’inauguration, Jean Cocteau et Salvator Dali signent sur le mur d’un appartement témoin. Ce numéro 2 va devenir une signature de la Shopping Center Company, fondée par les promoteurs, pour de nombreux autres centres commerciaux de plus grandes envergures en Ile-de-France : Parly 2, Vélizy 2, Rosny 2, Ulis 2, Italie 2 et d’autres en France et dans le Monde.
1963
Chantier d'Élysée 2
On voit nettement au bas de l’image les barres de la résidence Élysée 1.
Des quartiers aux identités très marquées
L’ermite Clodoald qui se réfugia ici pour se recueillir et trouver la paix aurait-il pu imaginer que se dresserait là une ville de plus de 20 000 habitants ? Celle-ci a vu naître des quartiers aux histoires singulières. Chaque quartier possédant ses propres commerces et, pour certains, leurs écoles primaires. Les grands quartiers de La Celle-Saint-Cloud ont une autonomie forte et sont séparés par des frontières végétales de parcs et de bois. Aux portes de la Métropole du Grand Paris, faire ville reste un défi permanent pour cette commune dans ce continuum de la banlieue parisienne.