Autour de la Terre

Géoconscience : les bonnes feuilles du premier livre de Maxime Blondeau

Dans son premier livre, le cosmographe, auteur et conférencier Maxime Blondeau nous embarque pour un voyage scientifique et poétique qu'il met en scène pour interroger notre rapport à la Terre et éveiller notre conscience géographique. Découvrez en exclusivité les bonnes feuilles de cet ouvrage à paraître le 17 octobre.

Publié le 09 octobre 2024

Temps de lecture : 10 minutes

Saviez-vous que le sommet de la planète n’est plus l’Everest mais le mont Chimborazo dans les Andes ? Que la moitié de la population humaine vit à moins de cent kilomètres d’un littoral ? Que la masse totale du béton et du ciment sur Terre vient de dépasser celle du vivant ? Ou encore que soixante-six départements français portent le nom d’une rivière ?

Voici quelques-unes des questions posées par Maxime Blondeau*, enseignant en cosmographie suivi par près de 160 000 abonnés sur LinkedIn, dans son premier livre intitulé Géoconscience, un ouvrage richement illustré de cartes surprenantes et de photographies immersives, qui révèle le caractère vital et fascinant de notre habitat commun, la Terre. Nous vous en proposons quelques extraits en attendant sa parution le 17 octobre prochain.

Avant-propos

Maxime Blondeau

« La cosmographie est une discipline ancienne dont l’objet consiste à représenter l’univers visible. Elle est l’ancêtre de la géographie et nous devrions la pratiquer davantage pour relever les défis contemporains. Les nouveaux cosmographes parlent plusieurs langues : la cartographie, la programmation, la donnée, la fiction et l’image. Entre épuisement des ressources naturelles et surabondance d’information, il y a urgence à réorienter notre attention collective vers le territoire, et ce qui nous unit à lui.

Dès le jour de notre naissance, sous le feu éblouissant des sensations, notre perception s’est agitée. Nous sommes passés d’un milieu stable à instable, d’un environnement fixe à changeant. De génération en génération, ce lien est devenu plus collectif. Nous avons marché vers l’horizon, creusé des sillons, étudié les nuages. Nous avons écouté nos proches, pris soin de nos jardins, nous nous sommes ouverts au monde. Jusqu’à ce que cette conscience se perde en chemin, par habitude, par erreur ou par ivresse. En se fermant à son propre milieu, l’humanité se détruit elle-même.

Tous les habitats sont désormais sous pression, depuis le plancher océanique de l’Arctique jusqu’au sommet du Cantal, depuis le delta du Gange jusqu’au centre-ville de Lyon. Autrefois, nous pouvions dire "nous sommes bien peu de chose", mais ce n’est plus possible. L’humanité est devenue une force significative à l’échelle des temps géologiques. Nous détruisons involontairement ce qui nous entoure parce que nous choisissons de ne pas voir le surtourisme ou la désertification. Notre inconscience est délibérée. Il est donc vital de changer de regard et, bonne nouvelle, c’est précisément ce qui se passe. Notre génération participe à la plus grande révolution du territoire depuis 12 000 ans.

Homo sapiens a atteint le pôle nord géographique en 1909 et le pôle Sud en 1911. Paul Valéry a tiré des enseignements visionnaires de ces faits historiques : "Le temps du monde fini commence", écrivait-il. Cette prise de conscience de la globalité s’est accompagnée d’observations douloureuses. Les sciences de la Terre, les géosciences, ont révélé de nouveaux dysfonctionnements. Neuf limites planétaires ont été établies, dont six sont désormais franchies chaque année. L’un de ces déséquilibres a certes été résolu, l’ozone atmosphérique, mais d’autres menaces se profilent comme l’habitabilité de vastes régions du monde, ce qu’on appelle les niches climatiques humaines. Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de savoir pour être conscient.

Iceberg A-68, océan Austral in Maxime Blondeau, Géoconscience, Allary Éditions, 2024, p.48-49 © UK MOD © Crown, 2022 / Cpl Phil Dye / Royal Air Force / Crown

À la fin du xxe siècle, un second phénomène est apparu : Internet. Sur nos smartphones, avec Google Maps, les réseaux sociaux, les séries et les films, nous sommes submergés d’information et cela vaut pour le territoire. Les anthropologues parlent de "volume géographique mental" pour décrire la quantité de territoire que chacun de nous se représente. Un adolescent africain ou japonais du début du siècle n’avait aucune idée de l’apparence des villes européennes ou brésiliennes. En moins de trente ans, avec la combinaison des nouveaux médias numériques, les représentations du monde ont explosé. Voyons-nous mieux le territoire pour autant ? Non, car ce n’est pas parce que nous regardons une somme extraordinaire d’images que notre conscience géographique s’élève.

Ce livre propose de représenter l’habitat selon trois échelles : le monde, le territoire et le milieu. D’abord le monde, l’espace commun de l’humanité, celui dont on tire une conscience planétaire. Ensuite la notion de territoire, variable et subjective par construction, qui peut relever de la nation, de la commune ou du jardin. Et enfin le milieu, c’est-à-dire la réalité dynamique des conditions locales, soit l’ensemble des interactions qui nous unissent à un lieu.

Après des millénaires de conscience locale, puis territoriale, le xxe siècle a vu naître la conscience planétaire. Le xxie siècle pourrait réconcilier les trois échelles, vers une conscience intégrale. C’est là que la cosmographie intervient (...) »


Plomb du Cantal - © Hello Clermont
Plomb du Cantal, France
in Maxime Blondeau, Géoconscience, Allary Éditions, 2024, p.113 © Hello Clermont

Plomb du Cantal, France

L’Auvergne est une haute terre millénaire tissée de brumes et de lumières. Le plus ancien de ses volcans, le Plomb du Cantal, est aussi le plus vaste d’Europe.

Le cœur de la France est volcanique. Dans les montagnes du Massif central, il y a cent générations, les Arvernes comptaient parmi les Celtes les plus puissants. Riches d’or et d’argent, les ancêtres de Vercingétorix doivent leur nom aux Aulnes qui blanchissent le flanc des volcans. Il y a mille ans, le comté d’Auvergne tirait sa renommée de ses abbayes. Centre intellectuel de la chrétienté, il donna naissance en 945 à Gerbert d’Aurillac. Illustre savant devenu pape, ce dernier fit introduire les chiffres arabes en Occident.

Un peu plus tôt, il y a 7 000 ans, d’augustes volcans déchiraient encore ces terres. Coulées de lave, explosions, projections de roche et de lave… Un volcan en particulier naissait là il y a 4 millions d’années, le plus grand d’Europe, le Plomb du Cantal qui s’étend sur 70 kilomètres et a donné son nom au cheval de Napoléon (...)


Mont Chimborazo, Équateur

Quel choc ! Le nouveau sommet de la planète n’est plus l’Everest mais un volcan dans les Andes. Le mont Chimborazo.

Titan aux neiges éternelles, le Chimborazo culmine à 6 263 mètres d’altitude en République d’Équateur. Ce volcan mériterait d’être plus connu car de toute la Terre son sommet est le plus proche des étoiles. Pourquoi ? Parce que la distance entre le Chimborazo et le centre de la Terre est plus grande qu’avec l’Everest. Comme notre monde n’est pas une sphère, mais un géoïde irrégulier, il est plus large de 21 kilomètres au niveau de l’équateur. En 2021, l’Institut français de recherche pour le développement (IRD) a participé à une mission spéciale. Son but était de mesurer avec une précision de l’ordre du centimètre la distance entre le mont Chimborazo et le centre de notre monde. Cette discipline scientifique s’appelle la géodésie et ses conclusions sont imparables. La distance au sommet du volcan est exactement de 6 384 kilomètres, contre 6 382 kilomètres pour l’Everest, ce qui en fait le point le plus éloigné du centre de la Terre. Deux kilomètres d’écart, et l’Everest n’est plus le toit du monde. À l’époque d’Humboldt, qui le gravit pour la première fois en 1799, le nom de cette montagne était bien plus légendaire qu’aujourd’hui. Mais c’est peut-être un bienfait car l’Everest est depuis submergé par des flots d’alpinistes amateurs. Déchets plastiques et victimes imprudentes s’accumulent depuis 2020 dans ses camps de base.

Une autre montagne compte parmi les plus mythiques. Le Fitz Roy en Patagonie, ici vu par satellite. Cette crête monumentale, hérissée vers le ciel et située à 3 400 mètres d’altitude, semble saisie par les glaces éternelles du Grand Sud. Elle est une véritable aberration géologique, un monolithe de magma surgi à la surface et solidifié il y a 100 millions d’années. Trésor national sud-américain, l’entreprise américaine Patagonia a repris sa silhouette comme logo, et tous les alpinistes le révèrent. Mais ce lieu est aussi un symbole ancien de la mythologie amérindienne. Pour les populations locales Tehuelche, l’oiseau magique Elfü, un cygne blanc, aurait déposé l’enfant-dieu Elal au sommet du Fitz Roy qu’ils appellent Chalten. Le jeune dieu serait alors descendu dans les plaines de Patagonie pour devenir le héros civilisateur, révélant aux hommes le secret du feu, de l’arc et la flèche. Les humains aiment allier la puissance et la beauté des montagnes pour transmettre les mythes de la création. Le Fitz Roy n’échappe pas à cette tradition (...)


Castellane, France

Castellane, France in Maxime Blondeau, Géoconscience, Allary Éditions, 2024, p.77 © IGN / LIDAR


Carte Géologique du fleuve Mississippi in Maxime Blondeau, Géoconscience, Allary Éditions, 2024, p. 149

Fleuve Mississippi, États-unis d'Amérique

(...) Les cartophiles chevronnés reconnaîtront tous cette vue du bas Mississippi de 1944. Réalisée par Harold Fisk, elle est devenue culte. Le géologue a dessiné la rivière à la main, avec des détails et une précision étonnante, en superposant des photos aériennes et des cartes locales. Au terme d’un parcours de trois ans le long des rives du cours inférieur du Mississippi, il en a rapporté un portrait sur lequel se superposent tous les états du fleuve depuis les débuts du Pléistocène, il y a 2,5 millions d’années, jusqu’aux interventions humaines qui lui sont contemporaines (...)


À paraître le 17 octobre

Géoconscience, Maxime Blondeau
Allary Éditions
29 euros
ISBN : 978-2-37073-511-9
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Mis à jour 03/12/2024