« L’eau est un flux dépendant du climat »

L’eau est un élément précieux. Qu’elle vienne à manquer, et tout le système de société humaine perdra alors l’équilibre. Avec le réchauffement climatique, c’est précisément ce qui se dessine pour l’avenir. Entretien avec Agnès Ducharne, Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation de l’hydrologie des surfaces continentales, à l'occasion de la publication de l'édition 2023 de l'Atlas IGN des cartes de l'anthropocène.

Publié le 03 octobre 2023

Temps de lecture : 5 minutes

Pour débuter, pouvez-vous nous expliquer de quoi est constituée l’eau disponible ?
L’eau douce peut être classifiée en deux grandes catégories. D’abord ce qu’on appelle l’eau bleue, qui transite dans les cours d’eau, les lacs et les nappes souterraines. C’est celle qui est exploitée par les activités humaines, l’irrigation, l’eau potable ou la production d’électricité. Il y a ensuite l’eau verte, qui désigne l’eau des sols et qui alimente la biomasse végétale donc la production agricole. Ces eaux, verte et bleue, font partie du grand cycle de l’eau global, qui les renouvelle sans arrêt. D’une manière générale, la quantité d’eau sur la Terre n’a pas changé depuis des milliards d’années. En revanche, la part de l’eau liquide, de l’eau solide des glaciers et de l’eau vapeur de l’atmosphère varie fortement à la fois dans l’espace et dans le temps. C’est cette répartition qui modifie le volume d’eau liquide disponible, qu’on désigne souvent comme les ressources en eau.

Qu’est-ce qui s’est déréglé dans le cycle de l’eau ?
L’eau circule sans arrêt entre ses différents états liquide, vapeur et solide. Il ne faut donc pas la considérer comme un stock statique, mais comme un flux très dépendant du climat. La Terre a connu un climat relativement stable depuis dix mille ans, qui a permis la sédentarisation de l’espèce humaine, avec un relatif équilibre des flux d’eau douce. Cette stabilité est remise en cause depuis le début de l’ère industrielle par le réchauffement climatique, qui augmente l’évaporation et les précipitations en moyenne globale. On pourrait imaginer que l’accroissement des précipitations augmente les ressources en eau, mais c’est plus compliqué. Car l’accroissement des précipitations se concentre dans les régions et les saisons humides, alors les régions et les saisons sèches voient les leurs diminuer. Le réchauffement amène aussi à la disparition rapide des quantités d’eau stockées sous forme solide. Les glaciers du Mont- Blanc en sont un exemple emblématique.

Quelle est la trajectoire prévue pour cette ressource en eau à l’avenir ?
Sur la question du réchauffement, les choses sont claires. Il n’y aura pas de retour en arrière, donc de refroidissement, à l’échelle de temps des vies humaines. Sur le cycle de l’eau, les incertitudes sont plus importantes, notamment au niveau régional. À cause de l’augmentation de l’évaporation, on attend une baisse des ressources en eau, verte et bleue, sur tout le territoire métropolitain en été. Mais l’intensité de ces changements est difficile à prévoir, car elle dépend de notre capacité à réduire nos émissions de gaz à effet de serre.

Devons-nous désormais considérer que l’eau n’est plus une ressource renouvelable ?
Plutôt que renouvelable, j’aime à dire que l’eau est constamment renouvelée dans les cours d’eau et les nappes. Mais le simple fait de parler de l’eau comme une ressource nous éloigne de ce renouvellement naturel par le cycle de l’eau, puisque cela traduit la volonté d’exploiter cette eau pour nos usages. Et si on prélève davantage d’eau chaque année que ce qui est renouvelé par le cycle de l’eau, on se retrouve en situation d’assèchement chronique. C’est le cas, par exemple, pour la mer d’Aral, le Colorado ou le Nil, et, plus proche de nous, au niveau du Marais poitevin. On ne peut raisonnablement pas espérer exploiter quelque chose au-delà de sa vitesse de renouvellement. C’est une équation simple.

Du point de vue de l’aménagement du territoire, existe-t-il un moyen de changer le cours de choses ?
On sait que l’artificialisation des sols contribue à l’accélération du cycle de l’eau, en diminuant leur capacité d’absorption et de stockage. C’est un phénomène documenté depuis des années. Or, les villes et le périurbain continuent à s’étendre, les parcelles agricoles se développent au détriment des bosquets, des haies et de la végétation naturelle des bordures de cours d’eau. Les politiques publiques en matière d’occupation des sols peuvent donc avoir un impact important, et certains élus locaux prennent le problème de front. Mais comme pour le changement climatique, faire des petits pas n’est plus suffisant. Il ne suffit pas de promettre « zéro artificialisation nette » dans vingt-cinq ans, cela doit commencer tout de suite à grands pas.

Comment l’observation des sols vous aide-t-elle à mieux comprendre la circulation de l’eau ?
La cartographie est essentielle à notre travail. Pour faire de la modélisation, qu’il s’agisse du climat ou des écoulements dans les cours d’eau et les nappes, il faut connaître comment les sols sont occupés. En visualisant le développement de l’urbanisation, on peut par exemple caractériser la part de ruissellement par rapport à l’infiltration dans les sols. Connaître les forêts, la nature des cultures et leur évolution temporelle fait aussi partie des informations que l’on exploite. Je travaille actuellement sur l’irrigation pour mieux com- prendre comment cette pratique diminue l’eau douce disponible, mais aussi comment cette diminution peut finir par « tuer la poule aux œufs d’or », si les prélèvements sont excessifs ou à cause du changement climatique.

Selon vous, pouvons-nous réparer ce cycle ou devons-nous apprendre à nous adapter ?
Il faut faire les deux. On ne retournera pas à des températures plus basses au XXIe siècle, donc il faut nous adapter, en commençant par consommer moins d’eau dans tous les secteurs d’activité. Mais il est vital d’éviter que le climat se réchauffe trop, ce qui impose de réduire fortement nos émissions de gaz à effet de serre. Les gens ne réalisent pas à quel point cela peut devenir grave. Par conséquent, il faut à la fois ralentir et s’adapter.

Agnès Ducharne, élève de l’École normale supérieure, est directrice de recherche au CNRS, au sein du laboratoire METIS de l’Institut Pierre Simon Laplace. Spécialiste des liens entre cycle de l’eau et climat, elle est membre de l’Académie d’agriculture de France, et fut lauréate, en 2021, du Grand Prix scientifique franco-taïwanais de l’Académie des sciences pour ses travaux sur les interactions entre changement climatique, ressources en eau et irrigation.


L'occupation des sols, on s'en occupe ensemble ?

Face aux défis posés par le changement climatique, l’IGN a pris l’initiative de publier annuellement l’atlas Cartographier l’anthropocène. Cet ouvrage de référence s’appuie sur la richesse des données de l’IGN et de ses partenaires pour représenter les conséquences de l’empreinte humaine sur le territoire. L’édition 2023 s’arrête en particulier sur la question de l’occupation des sols. L’IGN, cartographe du service public et opérateur de données de la planification écologique veut illustrer à travers cet atlas sa vocation à délivrer du savoir utile à la décision pour réussir la transition écologique.

Mis à jour 10/10/2024