L’IGN, producteur de statistiques forestières nationales et cartographe de l'anthropocène, publie les résultats des cinq dernières campagnes de l’inventaire forestier national (IFN) ainsi que des informations sur les anomalies de croissance des arbres issues d’un travail du Laboratoire de l’Inventaire Forestier de l’IGN. Pour 2023, l’IFN, véritable état des lieux de la forêt française, révèle des forêts de plus en plus affectées par le changement climatique, avec notamment une accélération de la mortalité des arbres, et une multiplication de crises entraînant un ralentissement du puits de carbone des forêts sur la dernière décennie. Ces résultats d’inventaire forestier contribuent à la connaissance et au suivi de l’état des forêts, objectif majeur de l’Observatoire des forêts françaises lancé en juillet dernier par sept partenaires.
Pour la forêt, les années se suivent mais ne se ressemblent pas. À l’année 2022, marquée par les grands feux, a succédé 2023, qui voit se poursuivre les dépérissements d’arbres. Si ce phénomène est moins spectaculaire que les tempêtes hivernales ou les incendies estivaux, il n’en est pas moins inquiétant pour l’avenir des forêts.
L’IGN, cartographe de l’anthropocène, est concerné au premier chef par ces changements profonds des territoires forestiers. Il est pleinement mobilisé pour produire et mettre en carte l’information qui permet de mesurer et de montrer l’impact des changements globaux sur les forêts, et ainsi de fournir les outils de pilotage des politiques publiques. Les résultats de l’Inventaire forestier national (IFN) apportent ainsi chaque année des connaissances sur l’état de santé des forêts et des ressources en bois sur l’ensemble du territoire français (forêts publiques et privées). Les cinq dernières campagnes de l’IFN de l'IGN, montrent les effets concrets du changement climatique sur les forêts françaises et leur croissance.
Les faits marquants
Une accélération constatée de la mortalité des arbres
Les effets du changement climatique sur la croissance des arbres – focus sur l’épicéa commun
Une surface forestière et un stock de bois vivant en constante augmentation – focus sur les coupes
Un ralentissement du puits de carbone des forêts françaises
Les résultats territoriaux consultables sur le site de l’Observatoire des forêts françaises (foret.ign.fr)
Une accélération constatée de la mortalité des arbres
Sur la décennie examinée, les conséquences du changement climatique (crises sanitaires forestières, sécheresses, prolifération de bioagresseurs, etc.) se lisent sur la santé des forêts françaises, avec notamment une très forte augmentation de la mortalité des arbres : 7,4 millions de mètres cube par an (Mm3/an) entre 2005 et 2013 à 13,1 Mm3/an entre 2013 et 2021, soit une hausse de près de 80 % en dix ans. Ce flux annuel de la mortalité équivaut à 0,5 % du volume de bois vivant.
En outre, la surface forestière touchée actuellement par le dépérissement est équivalente au cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années.
Les effets du changement climatique sur la croissance des arbres – focus sur l’épicéa commun
Un ralentissement global de la croissance des arbres a également été observé : de 91,5 Mm3/an en 2005-2013 à 87,8 Mm3/an en 2013-2021, soit une baisse significative de 4 %.
La dégradation de l’état de santé des forêts constatée ces dernières années est à mettre en lien avec les changements climatiques qui se manifestent en particulier par des températures plus chaudes et des sécheresses plus fréquentes que par le passé. Ces changements favorisent notamment la prolifération des bioagresseurs, comme les scolytes qui sont des insectes nuisibles pour les arbres. Certaines régions sont particulièrement à risque du fait de changements plus marqués.
Les recherches menées par le Laboratoire de l’Inventaire Forestier (LIF) de l'IGN, objets d’une synthèse publiée en juin 2023, montrent les effets du changement climatique sur les tendances de croissance de 12 essences d'arbres dans des peuplements purs (ie. une même essence couvre 75 % du peuplement). Sur la période 2006-2020, il a été observé que les tendances de croissance sont corrélées à l’évolution récente des températures et des précipitations.
Les essences les plus touchées par des baisses de croissance sont les conifères, notamment l’épicéa commun. Ces essences ont été largement implantées en plaine dans des contextes fertiles et chauds qui font actuellement face à un réchauffement et une baisse de la pluviométrie plus marqués.
Focus sur l'épicéa commun
L’épicéa commun est désormais la première essence touchée par la mortalité devant le châtaignier et le frêne. Les résultats 2018-2022 de l’inventaire montrent une situation négative pour l’épicéa commun : la production de bois, soit le bois qu’elle produit du fait de sa croissance, est inférieure aux coupes et aux arbres qui meurent. Cette situation est directement liée à la crise des scolytes qui a touché l’épicéa commun.
Depuis 2017, les coupes d’épicéas communs ont fortement augmenté, notamment pour limiter la propagation des scolytes (coupes sanitaires). C’est l’essence résineuse la plus prélevée.
De plus, l’étude sur les anomalies de croissance montre des baisses de croissance des arbres, y compris dans des lieux où les ressources en eau pour les arbres sont censées être les plus élevées. Cela s’explique par des baisses plus fortes de précipitations.
Une surface forestière et un stock de bois vivant en constante augmentation
La forêt en France métropolitaine couvre aujourd’hui 17,3 millions d’hectares, soit 31 % du territoire. C’est l’occupation du sol la plus importante après l’agriculture qui couvre plus de la moitié de la France métropolitaine. Depuis près de deux siècles, la superficie forestière métropolitaine augmente. Il y a un siècle (1908), la forêt française couvrait 19 % du territoire avec près de 10 millions d’hectares. En 1985, la forêt couvrait 14,1 millions d’hectares, soit une augmentation de 21 % sur les trois dernières décennies.
Le stock de bois des arbres vivants a connu une très forte progression, passant de 1,8 milliard de mètres cubes en 1985 à 2,8 milliards de mètres cubes aujourd’hui. Il s’agit d’une croissance de plus de 50 % en une trentaine d’années.
En trois décennies, le stock de bois vivant est passé de 137 m3 à 173 m3 par hectare en moyenne. Durant la même période, le nombre de tiges à l’hectare a légèrement diminué, les arbres étant plus gros et/ou plus grands (le volume unitaire moyen d’un arbre est passé de 0,19 m3 à 0,25 m3). Ceci indique un certain « mûrissement » de la forêt française.
Sur ces trois décennies, deux départements, la Gironde et les Landes, ont une dynamique inverse. En effet, fortement touchés par les tempêtes de 1999 et 2009, ils ont vu leur volume sur pied diminuer.
Focus sur les coupes de bois
Sur la période 2013-2022, chaque année, 3 à 4 % de la surface de forêt de production fait l’objet d’une coupe qui peut aller d’un seul arbre à la totalité du couvert. Cela représente en moyenne 600 000 hectares par an de forêt de production :
60 000 ha concernés par une coupe de plus de 90 % du couvert ;
25 000 ha concernés par une coupe entre 50 et 90 % du couvert ;
190 000 ha concernés par une coupe entre 15 et 50 % du couvert ;
320 000 ha concernés par une coupe de moins de 15 % du couvert.
Les coupes fortes, d’au moins 50 % du couvert, concernent ainsi en moyenne 85 000 ha par an, soit 0,5 % de la forêt de production. Le pin maritime (24 000 ha/an), les chênes pédonculé et sessile (11 000 ha/an) sont les essences principalement concernées par ces coupes fortes.
Un ralentissement du puits de carbone des forêts françaises
Les arbres forestiers vivants (branches et racines comprises) représentent un stock de 1,3 milliard de tonnes de carbone**. Ce stock a crû de 17 % entre les périodes 2005-2009 et 2018-2022. Ainsi, chaque hectare de forêt en France constitue en moyenne un stock de 81 tonnes de carbone contre 73 sur la période 2005-2009.
Cette évolution à la hausse du stock de carbone est appelée communément « puits » car les forêts en croissance ont la capacité de réduire la teneur en CO2 de l’atmosphère en le stockant sous la forme de biomasse.
Bien que le stock de carbone continue à augmenter, les résultats de l’IFN montrent depuis quelques années un ralentissement notable de la dynamique du puits de carbone, entraîné par la multiplication des crises sanitaires (scolytes de l'épicéa, chalarose du frêne, dépérissement du châtaignier, etc.) combinées à des épisodes de forte sécheresse et de canicule.
Ainsi, le puits s'est établi à 40 millions de tonnes de CO2 par an en moyenne sur la période 2013-2021, diminuant d'un tiers en une décennie.
Sur la période 2018-2022, face à l'ampleur de certaines crises comme celle des scolytes dans le Nord-Est, certains massifs présentent des niveaux de mortalité et de prélèvement (notamment des coupes sanitaires) supérieurs à la production biologique. Pour ces massifs, la forêt n’est alors plus un puits de carbone à l’heure actuelle. Le bilan net entre les trois composantes des flux (production, prélèvements, mortalité) devient donc négatif temporairement.
Les résultats territoriaux consultables sur le site de l’Observatoire des forêts françaises
Lancé le 10 juillet dernier, cet observatoire est porté par cinq grands acteurs du domaine : l’IGN, l’Office national des forêts (ONF), le Centre national de la propriété forestière (CNPF), France Bois Forêt, l’Office français de la biodiversité (OFB), sous l’égide du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire et du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Il a pour vocation de constituer un centre de partage et de production de données indispensables pour le pilotage des forêts françaises en rassemblant les expertises et les connaissances sur la forêt. Les contenus, mis en commun, et les réponses aux défis forestiers de demain, construites collectivement, illustrent l’ambition partagée d’agir face au changement environnemental.
Destiné aussi bien aux professionnels qu’au grand public, son site en accès libre (foret.ign.fr) propose ainsi une information de référence sur les grands enjeux actuels, ainsi que des cartes et des services innovants pour la connaissance et la gestion des forêts à l’échelle des territoires dans le contexte de changement climatique.
Les résultats territoriaux de l’inventaire forestier sont disponibles sur le site de l’Observatoire des forêts françaises (rubrique Les forêts de mon territoire).
Dans un contexte de mutation accélérée des écosystèmes forestiers et à l’heure de la transition écologique et énergétique, le suivi des forêts avec l’inventaire forestier national est essentiel, pour connaitre précisément les ressources en bois et mesurer l’évolution des forêts et leurs rôles, notamment ceux de piégeage du carbone et de réservoir de biodiversité́.
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*L’inventaire forestier national est basé sur une méthode dite « en continu », adoptée en 2005 pour mieux rendre compte des évolutions plus rapides que connaissent nos forêts depuis les tempêtes de décembre 1999 et la sécheresse/canicule de 2003. Les principaux résultats de l’inventaire sont publiés chaque année à partir des données collectées sur le terrain pendant les cinq années précédentes. Près de 70 000 placettes de terrain, inventoriées de 2018 à 2022, sont ici mobilisées (dont 14 000 placettes observées en 2022). Depuis 2017, l’enquête inventaire forestier national figure parmi les enquêtes à caractère obligatoire reconnues d’intérêt général et de qualité statistique (au même titre que les enquêtes de l’Insee). Ce label du Conseil national de l’information statistique est une garantie de qualité, d’objectivité et de protection de la vie privée.
** Le réservoir de carbone de l'écosystème forestier est estimé à 2,8 milliards de tonnes de carbone, réparti dans les arbres vivants (45 %), les arbres morts (4 %), la litière qui recouvre les sols (5 %) et la matière organique contenue dans les 30 premiers centimètres du sol (46 %).